Histoire des chemins - Chapitre 3 - Le Grand Organisateur -

UN PEU D’HISTOIRE

 

 

Après avoir fait connaissance avec les premiers pionniers de notre saine activité, nous aborderons ici la période charnière qui achève le lent processus d’évolution de la randonnée pédestre dans l’Hexagone et détermine l’aboutissement à la fois structurel et spatial de notre univers de loisir et sportif.

 

Chapitre III : Le Grand Organisateur

En 1896, à la veille d’un nouveau siècle, vient au monde Jean LOISEAU. À l’adolescence, déjà amoureux de la marche, ce dernier participe aux caravanes scolaires du Club Alpin Français et découvre le scoutisme. Créé en 1907 par Baden POWEL, major général de l’armée coloniale britannique à la retraite, d’origine protestante, fils d’un amiral de la Marine Royale, ce mouvement de jeunesse basé sur les valeurs de solidarité, d’entraide et de respect a pour but de permettre aux jeunes de former leur caractère et leur personnalité au travers d’activités pratiques en immersion dans la nature. Baden POWEL souhaite « transformer ce qui est l’art d’apprendre aux hommes à faire la guerre en l’art d’apprendre aux jeunes à faire la paix ». Toutefois, l’aspect un tant soit peu militaire : tenue, discipline qu’il juge surannée et quelque peu tatillonne, et les considérations religieuses et spirituelles de ce mouvement l’amène à s’en détacher pour développer le cadre de sa propre vision de la randonnée.

 

Au lendemain de la guerre de 1914-1918, employé à mi-temps comme archiviste à la Banque de France, il donne libre cours à sa passion et passe son temps à explorer les chemins, en France comme en Europe. Au cours de cette période, il s’ingéniera à améliorer son équipement et le matériel de camping, ce qui lui vaudra en 1920 la médaille d’honneur du Touring Club de France pour la perfection de son « équipement pédestrian ». En 1934, l’existence des deux grands clubs de marche du moment : le Club vosgien et les Excursionnistes Marseillais (cf article précédent dans Balises81N°25 Avril/Mai/Juin 2024) lui inspire la création de son propre groupe de marcheurs baptisé « Les Compagnons Voyageurs » et prend pour emblème une tente Itisa sur fond de rose des vents.

 

Initialement de nature solitaire, autodidacte mais reconnu bon vivant, Jean LOISEAU va se découvrir une âme d’accompagnateur et organiser des sorties en groupe où l’on se repère avec carte et boussole. La grande aventure du Front Populaire et l’instauration des congés payés en 1936 offre au plus grand nombre les notions nouvelles de loisirs, de vacances, en permettant de s’évader vers des espaces naturels.

En 1946, se souvenant du balisage des « sentiers bleus » de Claude-François DENECOURT dans la forêt de Fontainebleau (cf premier article dans Balises 81N°24 Décembre 2023), il imagine un balisage couplant le rouge emprunté au marquage forestier au blanc permettant une meilleure perception à la tombée du jour. Il procède aussi au recrutement de groupes bénévoles pour la création, l’aménagement et le balisage des sentiers. C’est dans la foulée, le 22 août 1947, qu’est créé le Comité National des Sentiers de Grande Randonnée (CNSGR) réunissant le puissant Touring Club de France, le Camping Club de France, le Club Alpin Français, le Club Vosgien, les Excursionnistes Marseillais, les mouvements de scoutisme et celui des auberges de jeunesse. Ce Comité met en place un plan directeur national qui entame un programme ambitieux de balisage de 25 000 km. L’inauguration du premier sentier de grande randonnée, le GR®3 d’Orléans à Beaugency, le 31 août 1947, marque l’avènement du futur réseau d’itinéraires décliné en GR®, GR® de Pays et PR.. En 1957 est édité le premier topo-guide dans lequel est reprise la devise du Club Vosgien : " Un jour de sentier, dix jours de santé ".

 

Le 22 avril 1978 la nécessité de représenter les randonneurs toujours plus nombreux aux niveaux national comme départemental débouche sur la naissance de la Fédération Française de la Randonnée Pédestre. Celle-ci, plus structurée que le CNSGR devient en 1985 une fédération sportive agréée, reconnue d’utilité publique. La FFRP, c’est aujourd’hui 369 GR®, 180 000 km de sentiers, 225 topo-guides, le site « Mon GR® », l’application « Ma rando » et 230 000 licenciés.

 

Promouvant la randonnée au sens large du terme en prenant en compte tous les publics adonnés à la marche, elle intègre aujourd’hui de nombreuses disciplines dérivées et a adopté une nouvelle devise : « Marcher tous, tout le temps, partout ». 

 

Gérard Palis, Président de la Commission Sentiers, Itinéraires & Éditions

Marcher est certes le plus vieux sport du monde mais il faut attendre la fin du XVIIIème siècle pour voir apparaître, grâce à la découverte de la nature et aux mouvements des romantiques, les premiers noms des marcheurs de loisir…

 

Ce sont les mouvements sociaux tournés vers les sports de plein air qui baptiseront la randonnée au XXème siècle.

 

Henri Viaux, président d’honneur de la Fédération Française de la Randonnée Pédestre nous explique : “Il faut remonter à la fin du siècle dernier pour comprendre la complexité de tous ces mouvements de jeunes, scouts, éclaireurs et autres, qui voulaient marcher mais qui se sont souvent trouvés pris dans des situations idéologiques où l’Eglise et la politique de ces périodes troublées avaient leur mot à dire.”

 

…Parallèlement (au Scoutisme), le mouvement des auberges de jeunesse prend sa source à la fin du siècle dernier, en Allemagne. La jeunesse allemande, autrichienne et suisse randonnait en montagne bien avant les débuts du scoutisme. En France, Marc Sangnier, germanophile, est le fondateur du Sillon où l ‘on retrouve, entre autres, François Mauriac.

À la suite de sa condamnation par l’épiscopat en 1910, Sangnier, militant démocrate-chrétien avant la lettre, s’inspire des Wandervogel (oiseaux migrateurs), mouvement engagé de la jeunesse allemande, et se tourne alors vers l’accueil des jeunes qui visitaient l’Europe à pied.

 

Avant même le Front Populaire de 1936, il crée la première auberge de jeunesse en 1929, l’Epi d’Or à Bierville, dans l’Essonne. Parmi ces premières auberges de jeunesse, il faut citer celle de Roger Beaumont, membre du Club alpin français, à Villeneuve-sur-Auvers où il était encore “père-aub”, juste avant la dernière guerre et celle de François Morenas, Regain, fondée en 1936 dans le Vaucluse. Ces auberges servaient d’étape aux randonneurs. Parmi ses particularités, le règlement Ajiste interdisait la propagande politique et favorisait le développement de la chanson de terroir.

 

Ainsi Pierre Jamet, “père-aub” en 1938, y récitait les premiers poèmes de Jacques Prévert qui circulaient alors sous forme de manuscrits dans les auberges de jeunesse. Et pendant ce temps-là Max Cosyns, le célèbre savant spéléologue, s’occupait, avec le même esprit, des sentiers de Belgique (ici c’est surement à Maurice Cosyn que l’auteur veut faire référence et non Max Cosyns le spéléologue). En témoignent, parmi d’autres exemples, la création de l’itinéraire des sentiers des Gorges du Verdon et son action auprès des jeunes spéléologues de la Pierre-Saint-Martin dans les Pyrénées…

 

Quel méli-mélo, direz-vous, et comment tous ces jeunes randonneurs pouvaient-ils se rencontrer sans problème dans les gites et refuges qui existaient déjà ? Sans doute lisaient-ils les romans de la fameuse collection “Signe de Piste”, illustrés par Pierre Joubert. Les anciennes randonneuses n’ont-elles pas souvent rêvé au prince Eric (1937), beau blond aux yeux bleus, sans âge et sans sexe, idéalisé hors de tout contexte politique ?

 

JEAN LOISEAU, LE “PATRON DE LA RANDONNEE”

 

Le dossier est ouvert. Vous avez maintenant les clefs pour comprendre. Ma table se couvre de dessins et de photos : paysages flous, petits itisas blancs, campings isolés, jeunes garçons riant aux éclats. Les sentiers sont déserts, les paysages infinis, le camping sauvage autorisé. Les champignons et les orchidées se cueillent facilement, le lièvre et le renard se pistent à la traque. Et puis le soir, entre copains, on joue à la rose des vents, au contrebandier, à Zorro. Les jeunes garçons ont l’air sain des bonnes familles au grand air. Chemisettes, foulards, bérets et pantalons de golf.

 

Ce sont les années faussement paisibles de l’entre-deux guerres, une dernière oasis. Bientôt les foules vont déferler sur les sentiers, les interdictions, les restrictions se multiplieront, mais la cheville ouvrière, le “patron” des sentiers, est là. Voir et comprendre, telle sera la devise de Jean Loiseau.

 

Jean Loiseau était un solitaire, un autodidacte, un bon vivant. Trois traits de caractère qui définissent son action. Il se détache des mouvements que nous venons d’évoquer pour créer sa propre version de la randonnée, hors de tout contexte politique. Pendant que les autres se battent pour le plein air.

 

C’est lui qui définira la randonnée, le balisage et le tracé des sentiers de grande randonnée. Dès 14 ans, il participe aux caravanes scolaires du CAF à Bleau. À 15 ans, le voilà chef de la troisième troupe d’éclaireurs de Paris :

“Je me souviens encore de ma première sortie comme chef éclaireur, j’en avais établi tout seul le programme : aller par le métro, traversée du bois de Boulogne à pied, ascension du mont Valérien, cuisine sur feu de bois, dans une décharge publique, retour par le tramway du Val d’Or. Un souvenir merveilleux !” Baden-Powell lui inculque l’amour de la nature, mais il quitte bien vite ces “exercices stéréotypés à coup de sifflet, sous une discipline tatillonne, bureaucratique et constipée”.

 

Archiviste à la banque de France à temps partiel, il parcourt l’Europe durant ces années, améliore le matériel de camping et reçoit en 1920 la médaille d’honneur du TCF pour la perfection de son “équipement pédestrian”.

 

Il fonde en 1934 les Compagnons Voyageurs et prend pour emblème une tente itisa sur fond de rose des vents. Le mot randonnée est né.

 

Vingt-quatre ouvrages relatent ses expériences, les recherches d’un équipement allégé encore jamais vu, la conception de voyages pédestres par équipes légères, faciles à diriger. Le cyclo-camping avec des bicyclettes à six vitesses est vite abandonné. “Il valait mieux revenir à la bonne vieille marche à pied beaucoup plus sûre”, préconise Loiseau.

 

Lever à 5h. marche jusqu’à 11 h30, avec pause de 10 minutes toutes les heures et parcours en plaine. Ravitaillement, bon coin pour déjeuner, sieste jusqu’à 16h30. Reprise de la marche jusqu’à 18h. Re-ravitaillement, bon coin pour dîner, coucher. L’entraide financière est de rigueur. « Pour une bonne route meilleure croûte ! » déclare le Patron comme l’appellent ses compagnons.

Loiseau. Jean – Randonnées en ile de France
Loiseau. Jean – Randonnées en ile de France

Cent vingt-deux grandes randonnées, des centaines de sorties de fin de semaine, une trentaine de camps fixes en Morvan, en Bourgogne, en Corse, dans les Ardennes, en Bretagne, à Fontainebleau ou ailleurs. Ses placards de la Banque de France sont bourrés de dessins de champignons, d’orchidées, de jeux, de croquis d’itinéraire…

 

Trente ans de bonne humeur et 40 000 km à pied. Jean Loiseau a ainsi donné ses lettres de noblesse à la randonnée française, la libérant de l’idéalisation des mouvements scouts ou éclaireurs, tout en gardant les bons trucs du camping, le travail manuel, les jeux et l’itinérance.

 

“La méthode adoptée pour la réalisation des voyages est la randonnée active, par petites équipes autonomes de deux, trois ou quatre membres ayant chacune leur tente, leur matériel particulier et leur indépendance financière… Les adhérents sont conduits aux sites les plus beaux et les plus intéressants, qui sont recherchés pour bien faire comprendre, par la contemplation directe, le caractère de la région parcourue. Des courtes causeries sont faites à chacun de ces sites.” (Extraits du règlement du Club des compagnons voyageurs).

 

LES GRANDES ROUTES DU MARCHEUR

 

Puis la guerre arrive. Durant cette période, il mûrit son projet des grandes routes du marcheur (1943) et le soumet bientôt au très puissant Touring Club de France qui le propose lui-même à différentes associations d’amateurs de plein air : Camping Club de France, Club vosgien, Club alpin, mouvements scouts, etc. Ce fameux rapport des routes du marcheur, véritable ancêtre des plans départementaux de la randonnée actuelle, définissait déjà les principaux itinéraires traversant la France.

 

En 1947 fut créé le Comité National des Sentiers de Grande Randonnée au TCF destiné à s’occuper uniquement de la randonnée pédestre.

 

Ce fut également Loiseau qui inventa le balisage blanc et rouge des sentiers de grande randonnée, bien avant la création du balisage jaune et rouge pour les GR de Pays et du jaune pour les sentiers PR. Il s’inspira du rouge utilisé par les forestiers pour délimiter les parcelles d’exploitation et y superposa le blanc pour “mieux le distinguer à la tombée de la nuit”.

 

Un plan directeur national fut mis au point et plus de 25 000 km de sentiers commencèrent à être balisés grâce à la gestion du Touring Club de France et du CNSGR. Mais ceci est une autre histoire qui rend hommage au bénévolat des baliseurs.

 

Rappelons que le CNSGR devint la Fédération Française de la Randonnée Pédestre en 1978, à l’instigation d’Henri Viaux et Bernard Woimant.

 

Robert Journaux, un fidèle Compagnon voyageur, évoque ainsi le “patron” : “Le soir, nous avions planté notre tente à la lisière d’une sombre sapinière comme il en existe beaucoup dans la région ; la fraîcheur du crépuscule nous avait fait rentrer sous notre abri et nous allonger dans nos duvets."

 

Sur le réchaud Gédéon à alcool, mijotait une soupe à l’oignon comme Loiseau savait en préparer. Nous devisions sur le parcours de la journée en évoquant les points forts de l’itinéraire. “Pourquoi ne ferions-nous pas cela en France ?”, me déclara-t-il. Les GR® étaient nés !

AlpiRando-173 – Jean Loiseau
AlpiRando-173 – Jean Loiseau

Nous étions alors fort loin de nous douter que ce sentier de l’Ouer deviendrait l’itinéraire européen E2 Hollande-Méditerranée, notre GR®5 en France.

 

Jean Loiseau devait s’éteindre en 1982, à l’âge de 85 ans auprès de son ami et cousin Bernard Woimant, Compagnon voyageur et ancien président de la FFRP, qui conclut :

“Il avait eu d’innombrables amis, beaucoup qu’il avait connus et fréquentés pendant des années et beaucoup d’autres qui ne le connaissaient que par ses livres. Et il y aura des centaines de milliers et même de millions d’amis inconnus qui parcourront les sentiers de France sans savoir que c’est à Jean Loiseau qu’ils le devront.”

 

Extrait de l’article de Anne-Marie MINVIELLE dans la revue AlpiRando n°173

Infos pratiques

 

Ayez le réflexe SURICATE lorsque vous partez en randonnée !

Préservons notre terrain de jeu !

Je partage mes traces GPS pour la préservation et l’aménagement de mes sites de pratique.

En savoir plus

Nous trouver et nous contacter

FFRandonnée Tarn

Adresse : 10, rue des Grenadiers  81000 ALBI

Tél : 05 63 47 33 70  - 05 63 47 73 06 

Courriel : tarn@ffrandonnee.fr